Marc Fauconnier
Marc Fauconnier
05/07/2019
Marc Fauconnier, on ne le présente plus. Il y a quelques années, son agence LG&F Famous est devenue Famous FamousGrey. Marc Fauconnier la dirige depuis 22 ans. Le 1er juillet dernier, il a passé le témoin et se concentre depuis lors sur la consultance et le conseil stratégique, en qualité d’executive chairman. Depuis l’abbaye Sainte-Wivine (Dilbeek), il clame à qui veut l’entendre son amour pour les marques.

« Le nouveau mode de consommation des médias a un grand impact sur nos marques. En cette nouvelle ère numérique, nous devons sauver nos marques. Comment ? En préservant leur pertinence. » Cette bonne parole, il la propage au moyen de trois questions, que devrait se poser tout architecte de marques :

« Comment le consommateur choisit-il ma marque ? »

Une marque est aujourd'hui appelée à évoluer dans un biotope numérique complexe. Pour savoir ce qu’elle représente pour le consommateur d’aujourd'hui, il est important de comprendre comment elle s’insinue dans notre esprit.

Daniel Kahneman, économiste, psychologue et prix Nobel, affirme que notre cerveau se compose de deux circuits différents :

- Le circuit n°1 est celui des décisions rapides et intuitives. C’est lui qui conditionne la plupart de nos choix de marques. Par nature, une marque est émotionnelle.

- Le circuit n°2 incite l’individu à réfléchir, à comparer et à faire des choix posés. Le consommateur d’aujourd'hui prépare ses achats numériques, compare les produits et les prix, et finit par faire un choix rationnel. Cette rationalité représente une grande menace pour nos marques.

Tout comme les ordinateurs, nos cellules grises intègrent de multiples algorithmes, qui fonctionnent à très haute vitesse. Le choix des marques se fait aussi en fonction d’algorithmes. Le modèle classique est le suivant :

- Familiarity. Les marques sont familières. Les choix sont effectués sans même réfléchir. -> « Je veux acheter un jeans, donc je pense à Levi’s. »

- Predictability. Les marques sont prévisibles. -> « Si je commande un Coca-Cola à Buenos Aires, il sera similaire à celui que l’on me sert à Paris. »

- Participation. Le statut procuré par un produit ou une marque. -> « Je lis Le Monde et je regarde Arte, car cela ‘fait bien’ en société ».

Avec l’émergence du numérique, de multiples raccourcis digitaux minent les algorithmes classiques. Quelque 95% de nos décisions étant intuitives, l’objectif premier pour les marques est de se maintenir dans le circuit n°1. Pour les architectes de marques, le défi est donc clair : comment amener le consommateur à choisir ma marque intuitivement, et donc rapidement ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre comment fonctionnent les raccourcis numériques.

« Comment les raccourcis numériques influencent-ils mon choix ? »

Aujourd'hui, les produits et services sont à portée directe du consommateur. Via internet, quelques secondes suffisent pour acheter des chaussures ou réserver un voyage. Ces choix restent cependant le fruit d’un processus. Un processus qui se déroule en coulisses, dans notre cerveau…

Lorsque nous surfons sur internet, nous désactivons le circuit n°1 au profit du circuit n°2. Nous recherchons l’information sur différents sites, nous lisons des commentaires et comparons les prix. Le processus commercial s’en trouve considérablement ralenti : fini les choix intuitifs, la raison remplace l’émotion. Ces raccourcis numériques influencent donc profondément la manière dont nous choisissons les marques.

Un exemple ? Le plus grand concurrent de Beyersdorf n’est plus L’Oréal, mais les centaines de petites entreprises de cosmétiques actives via internet, qui se démarquent via d’intelligentes stratégies de contenus. AB InBev n’affronte plus seulement les autres géants de la bière, mais aussi des microbrasseries qui, via le web, séduisent directement le consommateur.

Autre élément à prendre en compte : les messages numériques sont beaucoup plus ciblés. Via la programmatic advertising, on ne reçoit plus que des messages personnalisés, adaptés à notre profil. En conséquence, les efforts de marketing se concentrent sur l’autre extrémité de la lorgnette : 90 % des efforts numériques ciblent le call-to-action, et non plus le positionnement. Dans un environnement où nous pouvons comparer posément toutes les alternatives, nous sommes en permanence bombardés de messages commerciaux.

La question qui se pose est donc la suivante : comment ramener ma marque dans le premier circuit, celui de la décision intuitive ? Autrement dit, dans l’économie numérique d’aujourd'hui, comment assurer la survie de ma marque ?

Réponse : en modifiant l’algorithme classique.

« Comment assurer la survie de ma marque en cette nouvelle ère numérique ? »

Pour assurer la pérennité de votre marque dans le nouvel environnement numérique, vous devez apporter trois modifications à l’algorithme classique :

1. From familiar to meaningful

Votre marque doit être familière, c’est une évidence. Mais ce n’est pas suffisant. Elle doit aussi avoir une ‘signification’, c'est-à-dire une pertinence dans la vie du consommateur. Real Beauty (Dove) s’y emploie via le claim ‘beauté intérieure’, en se démarquant ainsi de ses concurrents numériques. Ikea est aussi passé maître en pertinence, en concrétisant son slogan ‘Creating a better life for the many people’.

2. From predictable to discovery

La génération Y recherche en permanence la nouveauté. Les marques qui ne switchent pas de la prévisibilité à l’innovation sont condamnées. Starbucks innove en lançant constamment de nouveaux cafés, ainsi qu’un concept de paiement inédit, baptisé ‘Tweet a coffee’. Plus près de chez nous, la VRT innove en permanence en termes de contenus et de formats. Down The Road, par exemple, a été suivi assidûment par mes enfants, qui appartiennent pourtant à la génération Z.

3. Reinvent participation

Les marques sont devenues des systèmes sociaux, dont la survie passe par le partage. Comment s’organise ce partage ? De trois manières. Primo, par un rassemblement autour de thèmes sociétaux, comme lors de De Warmste Week. Une initiative ultrapopulaire, à laquelle toutes les marques et tous les consommateurs souhaitent être associés. Secundo, en misant sur le direct. Aux États-Unis, près de 10% du budget publicitaire télé est phagocyté par le Super Bowl. Pourquoi ? Parce que les annonceurs ont compris que, ce jour-là, leur message sera diffusé dans un contexte idéal, tant créativement que socialement. Tertio, en communiquant par les contenus. La récente campagne de Jupiler, qui propose ‘Une petite bière, Sam ?’ à l’ex-chanteuse de K's Choici (suite à son changement de sexe), a fait la une de l’actualité. Jupiler, dont la communication est axée depuis des années sur la virilité, a saisi la balle au bond via ce top topical ludique. Un débat s’est engagé, avec les habituels ‘pour’ et ‘contre’, mais la marque a fait le buzz, c’est une évidence.

Avant de conclure, je tiens à souligner une fois de plus l’importance cruciale de la créativité. Aucun des points ci-dessus ne tient la route si la créativité n’est pas au rendez-vous. C’est la créativité qui lie le consommateur à la marque, qui la fait vivre et qui nourrit sa popularité.